Des coquillages aux dépôts bancaires, en passant par les pièces de monnaie, l’argent a évolué. De nos jours, les dépôts et les billets de banque émis par la Banque du Canada représentent la grande majorité de l’argent en circulation dans l’économie canadienne. En 2008, le livre blanc sur le bitcoin énonçait les principes techniques qui sous-tendent la première monnaie électronique de pair à pair dans le monde, lançant ainsi le développement de ce qu’on appelle les « cryptomonnaies ». Au même moment, l’utilisation accrue des modes de paiement numériques (accélérée par la pandémie) alimentait la diminution du recours à l’argent comptant.
Les banques centrales, traditionnellement prudentes, se retrouvent maintenant dans la mêlée, tenues de garder le contrôle des systèmes monétaires produisant de nouvelles solutions, tout en ayant conscience du tort que pourraient subir les institutions financières (IF) et les consommateurs si cela venait à mal tourner. L’annonce qu’a faite Facebook en 2019 sur ses plans de lancement d’une nouvelle monnaie numérique, le Libra, a accru les préoccupations des banques centrales au sujet de l’impact que tout cela pourrait avoir sur le rôle et les responsabilités des institutions financières et sur les leurs, advenant un déploiement à la masse critique par les grandes sociétés technologiques. Les « monnaies numériques de banque centrale », ou MNBC, sont maintenant offertes comme solution possible, des projets de recherche et des projets pilotes émergeant en Chine et partout dans le monde.
Dans un récent rapport, la Banque des règlements internationaux (BRI) a défini une MNBC comme un instrument de règlement numérique, libellé en unité de compte nationale, qui est sous la responsabilité directe de la banque centrale[1]. Les décideurs ont examiné les modes de prestation autant pour le secteur « de gros » (les clients accèdent aux MNBC par l’entremise d’institutions financières) que celui « de détail » (les clients accèdent aux MNBC directement auprès de la banque centrale), mais comme c’est le mode du secteur de détail qui fait le plus souvent l’objet de discussions publiques.
L’argent sous toutes ses nouvelles formes
Comme toute nouvelle technologie, les nouvelles formes d’argent ne remplacent pas immédiatement et entièrement les anciennes; elles fonctionnent plutôt en parallèle dans l’économie comme solutions de rechange aux caractéristiques distinctives, notamment leur nature physique ou numérique, leur émetteur, la façon d’en déterminer la valeur et le niveau de confidentialité des transactions. Nous comparons ici les quatre principales catégories d’argent actuellement utilisées et la façon dont les MNBC peuvent également s’y comparer.
Alors que certains observateurs soulignent les risques que pourraient courir les institutions financières et leurs clients, les promoteurs des MNBC ont cerné des occasions qui, selon eux, justifient un examen plus approfondi du concept ainsi que d’éventuels projets pilotes.
Principes proposés
Les banques centrales ont des mandats bien définis à la lumière desquels la BRI a proposé un ensemble de « principes fondamentaux[2]» qui devraient guider l’élaboration et la mise en œuvre des MNBC.
- Ne pas nuire aux objectifs généraux de politique publique : Les MNBC doivent continuer d’appuyer les objectifs de politique publique et ne pas nuire à la capacité d’une banque centrale de s’acquitter de son mandat de stabilité.
- Assurer la coexistence et la complémentarité des formes de monnaie publiques et privées : Les différents types de monnaie de banque centrale doivent coexister dans un écosystème de paiement plus vaste, notamment dans les comptes bancaires commerciaux.
- Promouvoir l’innovation et l’efficacité : L’innovation et la concurrence doivent être autorisées afin de permettre l’amélioration des systèmes de paiement et ainsi éviter la migration des utilisateurs vers des instruments moins sûrs.
Dernières remarque
Malgré toutes les discussions qui entourent les MNBC, de nombreux acteurs du secteur des services financiers se demandent si elles ne seraient pas plutôt un obstacle dans la recherche d’une solution, surtout à la lumière des diverses méthodes et initiatives qui visent déjà les mêmes occasions que celles pour lesquelles on propose les MNBC. Compte tenu de la complexité des systèmes financiers et monétaires modernes, il faut également prendre en compte de possibles conséquences indésirables.
Bien entendu, les banques centrales ne peuvent ignorer la diminution continue du recours à l’argent comptant ni les répercussions possibles d’un boom causé par les grandes sociétés technologiques en ce qui concerne l’utilisation des cryptomonnaies, si aucune solution de rechange concurrente n’est présentée. Cela dit, l’élaboration d’une telle solution requiert d’établir un équilibre crucial entre la nécessité de protéger la société et le principe de la protection des renseignements personnels. Une autre question importante que les banques centrales ne devraient pas ignorer est celle de l’égalité de l’accès aux méthodes de paiement.
Compte tenu des répercussions possibles sur plusieurs intervenants (les institutions financières, les consommateurs, les gouvernements, les entreprises, les sociétés de traitement des paiements et les banques centrales elles-mêmes), les MNBC ne sont qu’une des nombreuses pièces du casse-tête de ce « nouvel argent », dont font partie les cryptomonnaies non stables, les cryptomonnaies stables et la finance décentralisée (DeFi).
Lire le rapport complet ici.
[1] Central bank digital currencies: Foundational principles and core features, Banque des règlements internationaux (en anglais seulement)
[2] Source : Central bank digital currencies: Foundational principles and core features, Banque des règlements internationaux (en anglais seulement)