Qu’ont en commun la naissance du commerce électronique et celle du bitcoin? Si vous pensez à Satoshi Nakamoto, le mystérieux et mythique créateur du bitcoin, vous faites erreur. Contre toute attente, la bonne réponse est la pizza.
Curieusement, la première véritable opération de commerce électronique a eu lieu en 1994 et a été créditée à Pizza Hut par l’entremise de son service PizzaNet. Seize ans plus tard, le 22 mai 2010, Laszlo Hanyecz a montré au monde qu’une cryptomonnaie, le bitcoin, pouvait être utilisée comme moyen d’échange : cet habitant de Floride a en effet offert 10 000 bitcoins sur un forum en ligne pour deux pizzas Papa John’s. Un Britannique a accepté l’offre et fait livrer deux pizzas chez Laszlo Hanyecz. À l’époque, les 10 000 bitcoins valaient 41 dollars américains; en juin 2022, ils valent environ 250 millions de dollars canadiens (soit 125 millions de dollars canadiens la pizza). Dans les cercles d’adeptes des cryptomonnaies, le 22 mai est maintenant connu et célébré comme la journée de la pizza Bitcoin.
En dehors du fait que leur valeur augmente fortement et rapidement, les cryptomonnaies ont-elles un rôle important à jouer dans l’avenir de la finance, de l’argent et de l’économie?
Après tout, il y a quelques semaines à peine, la débâcle de la cryptomonnaie stable Terra bousculait le marché des cryptomonnaies. Et Coinbase, la plateforme d’échange de cryptomonnaies la plus connue, est récemment devenue la première entreprise de cryptomonnaie à entrer dans le palmarès Fortune 500, avant d’annoncer, à peine deux semaines plus tard, qu’elle annulait des offres d’emploi et licenciait 18 % de ses effectifs.
Pourquoi ces turbulences? Le monde des cryptomonnaies connaît-il une évolution ou une révolution? Ou pire, sa fin est-elle proche?
Cette édition de Tendances vous fera découvrir l’histoire de ces nouveaux actifs numériques et les récits qui les entourent afin de vous aider, nous l’espérons, à vous faire votre propre opinion à leur sujet.
Qu’est-ce que l’argent?
Argent
Jusqu’à l’effondrement du système de Bretton Woods dans les années 1970, les monnaies étaient garanties par des réserves d’or. Depuis lors, les pays sont libres de choisir la forme d’entente d’échange qu’ils souhaitent. Ce qui nous amène à cette question philosophique : qu’est-ce que l’argent?
Le terme « argent » désigne un moyen d’échange, une mesure de valeur ou un mode de paiement. C’est le système comptable d’une économie donnée et il vise à faciliter l’échange de biens et de services. En théorie, tout peut se voir attribuer une « valeur monétaire », à la condition que suffisamment de personnes ou de communautés acceptent le moyen d’échange et y fassent confiance.
Par exemple, en 2002, lorsque M-Pesa a été lancé au Kenya, ses utilisateurs achetaient et vendaient des minutes de téléphonie mobile en échangeant du « temps de communication » comme une monnaie locale. Sur le plan philosophique, et en laissant de côté les définitions strictes des monnaies légales, l’argent peut tout représenter : du M-Pesa, dont la valeur est attachée aux minutes de téléphonie mobile, au Robux, ce « dollar Roblox » apprécié des enfants occidentaux sur la plateforme de jeu en ligne.
Cryptomonnaie
Une cryptomonnaie est un moyen d’échange numérique, chiffré et décentralisé, autrement dit sa valeur ne dépend pas d’une autorité centrale.
Le bitcoin est aujourd’hui la cryptomonnaie la plus populaire au monde. À la base, le bitcoin est une promesse libertaire qui se manifeste sous la forme d’un programme informatique que les utilisateurs peuvent télécharger et exécuter sur leur propre ordinateur. La proposition de valeur de cette cryptomonnaie, et d’autres semblables, est qu’elles ne sont pas seulement visibles sur l’ordinateur d’une personne, mais simultanément sur des milliers d’ordinateurs qui créent, ensemble, un registre permanent de transactions enregistrant chaque achat, vente ou opération dans une base de données publique appelée « chaîne de blocs ». Les cryptomonnaies visent à éliminer les banques centrales, les politiciens et les économistes gouvernementaux du processus de transfert de valeur.
À tort ou à raison, ces actifs numériques comptent un large éventail d’adeptes, allant des puristes du bitcoin aux passionnés du dogecoin. En mars 2022, il existait plus de 12 000 cryptomonnaies, dont la plupart étaient autonomes des banques centrales.
Chaîne De Blocks
Les cryptomonnaies permettent une représentation numérique de la valeur qui repose sur un registre distribué sécurisé par cryptographie appelé chaîne de blocs. Dans le cas du bitcoin, ces transactions n’apparaissent pas l’une après l’autre dans le registre, mais environ toutes les 10 minutes. L’un des ordinateurs du réseau effectue une série de transactions puis les entre dans un ensemble de codes informatiques appelé « bloc ». Chaque nouveau bloc fait référence au bloc qui le précède et qui est visible par tous, créant une « chaîne de blocs ». Cette méthode de vérification se passe ainsi d’une autorité centralisée.
MNBC
Contrairement aux cryptomonnaies, les monnaies numériques de banque centrale (MNBC) existent sur des registres centralisés contrôlés, exploités et surveillés par des institutions bancaires centrales et des organismes gouvernementaux. L’une des MNBC les plus connues actuellement est le yuan numérique.
Évolution du cours du bitcoin
« Les marchés haussiers naissent du pessimisme, se développent dans le scepticisme, mûrissent dans l’optimisme et meurent dans l’euphorie. » —John Templeton
Historique du cours du bitcoin ($ US)
- Janv. 2017 Le bitcoin passe les 1 000 $ pour la deuxième fois depuis nov. 2013
- Mai 2017 Dépasse les 2 000 $ suite à l’intérêt de plusieurs institutions pour la technologie de la chaîne de blocs
- Déc. 2017 Flirte avec les 20 000 $ sous l’effet des premières émissions de cryptomonnaie (PEC)
- Mars 2018 Le cours s’effondre sous les 7
- Janv. 2019 Baisse continue du cours qui passe sous les 4 000 $, la réglementation et l’échec de certains projets inquiétant le marché
- Juin 2020 Le cours atteint 10 000 $ sous l’effet de la COVID-19 et des craintes d’inflation
- Avr. 2021 Dépasse les 60 000 $ après l’annonce du PAPE de Coinbase et le renforcement de l’intérêt institutionnel alimenté par Tesla
- Juill. 2021 Le cours perd 50 % par rapport au sommet d’avril après des spéculations sur une réglementation gouvernementale
- Nov. 2021 Cours de clôture record, dépasse les 65 000 $
- Janv. 2022 Le cours chute à moins de 35 000 $, à cause des préoccupations soulevées par la découverte d’une nouvelle souche de la COVID-19
- Juin 2022 Baisse continue du cours qui passe sous les 20 000 $ dans un marché baissier
Il ne fait aucun doute que le bitcoin et d’autres cryptomonnaies subissent la volatilité du marché. Malgré cela, leurs adeptes gardent une foi inébranlable dans la technologie et son architecture décentralisée de chaîne de blocs. En mode narratif, la prochaine section vous fera découvrir l’histoire de ces nouveaux actifs numériques et les récits qui les entourent afin de vous aider, nous l’espérons, à vous faire votre propre opinion sur leur avenir.
Tulipes, pierres et histoires
Nouvelle catégorie d’actifs, ou tulipomanie pour la génération Y?
On dit que l’histoire n’est qu’une simple chronique du remplacement. Vraiment?
En 1634, en plein âge d’or des Pays-Bas, une toute nouvelle catégorie d’actifs très spéculative est apparue : le bulbe de tulipe. À l’époque, un bulbe de tulipe pouvait valoir plus de dix fois le revenu annuel d’un artisan qualifié, tandis que les contrats financiers sur ces bulbes changeaient de mains plus de dix fois en une seule journée en raison de la forte demande. Pour de nombreux économistes de l’ère moderne, la « tulipomanie hollandaise » est considérée comme la première bulle d’actifs connue de l’histoire moderne. Cependant, comme avec la plupart des bulles spéculatives, l’euphorie a été de courte durée et, en février 1637, les prix des contrats sur les bulbes de tulipe se sont brusquement effondrés, tandis que le commerce de ce nouvel actif s’est brutalement arrêté. La bulle de cette catégorie d’actifs non conventionnels avait finalement éclaté, ne laissant à la population que des difficultés économiques et un sentiment général de désespoir.
Offre et rareté perçues : l’histoire des pierres de rai
Il y a plus de cinq cents ans, les habitants des îles Yap ont créé un ingénieux système de commerce avec un registre rudimentaire et transparent et un mécanisme basé sur le consensus. Contrairement à d’autres sociétés de l’époque, leur système monétaire et leur monnaie n’étaient pas fondés sur les métaux précieux, mais sur un calcaire spécial qu’on ne trouve pas sur l’île.
Les Yapais devaient déployer des efforts considérables et naviguer loin, parfois sur plus de trois cents kilomètres, pour rapporter des milliers de gros blocs de granit. Ces rochers, pesant souvent de trois à quatre tonnes, voire plus, étaient taillés en forme de disque, devenant ainsi la monnaie locale connue sous le nom de pierre de rai. Les pierres de rai étaient placées au centre du village et rarement déplacées par la suite. On proclamait publiquement à qui chaque pierre appartenait, et tout le village s’en souvenait, créant ainsi un registre très rudimentaire basé sur la mémoire collective. Si le propriétaire d’une pierre voulait procéder à un échange, il annonçait officiellement à tout le village que la pierre changeait de mains, et qui était le nouveau propriétaire.
Tout cela a pris fin vers 1870, lorsque David O’Keefe, un capitaine européen qui avait fait naufrage sur les îles Yap à la suite d’une tempête, a remarqué que les Yapais utilisaient les pierres de rai comme monnaie d’échange. Une fois remis, il a commencé à naviguer vers les îles voisines pour tirer profit de la monnaie yapaise en exploitant lui-même les carrières de calcaire. Il utilisait des techniques et des technologies plus contemporaines, comme de plus gros navires, de meilleurs outils et de la dynamite. Il espérait s’enrichir en inondant le marché yapais de « son » calcaire, qu’il avait facilement acquis. Au début, les choses ne se sont pas passées comme prévu, car le chef des Yapais a déclaré que le calcaire contrefait de David O’Keefe ne valait presque rien en raison de la facilité avec laquelle il obtenait ces pierres. Cela signifiait que la valeur des pierres contrefaites n’était pas intrinsèquement la même que celle des pierres yapaises (rai). Cependant, avec le temps, les Yapais ont accepté ces pierres contrefaites. La facilité avec laquelle David O’Keefe obtenait de grandes quantités de ces pierres a finalement entraîné une inflation ainsi que la dévaluation et l’effondrement de la monnaie des îles Yap, mettant fin à ce système monétaire qui avait duré un demi-siècle.
On peut tirer de nombreuses leçons de l’histoire des îles Yap. Premièrement, la plupart des sociétés modernes sont construites autour d’histoires, qui ont permis, au fil des décennies et des siècles, de créer des cultures, des nations, des religions et même des systèmes monétaires. Pourquoi accordons-nous autant de valeur à l’or malgré le fait que d’autres métaux partagent des caractéristiques semblables? Ce qui nous amène à la deuxième leçon : le concept de la rareté perçue. La rareté est un concept économique qui renvoie au fait qu’il n’existe qu’un nombre limité de ressources ou une quantité limitée de biens économiques. La règle générale est que nous accordons une plus grande valeur aux biens rares qu’aux biens abondants. Comme raconté ci-dessus, la valeur des pierres de rai tenait dans leur rareté perçue. Elles étaient perçues comme étant rares parce qu’il était très difficile pour les Yapais, surtout avec leurs technologies primitives de l’époque, de les extraire à partir d’une île située à des centaines de kilomètres.
Morale de l’histoire : créer beaucoup de pierres de rai ou imprimer beaucoup d’argent ne fait que déprécier le système comptable d’une économie, mais ne l’enrichit pas. Cette baisse du pouvoir d’achat de l’argent au fil du temps est communément appelée « inflation ». En résumé, ce qui est facile à obtenir ne dure pas et ce qui dure n’est pas facile à obtenir.
Cryptomonnaies Occasions
Non-bancarisés, sous-bancarisés et micropaiements
Les difficultés et frictions actuelles du secteur financier sont des occasions potentielles pour les cryptomonnaies et la chaîne de blocs. En 2018, les services financiers représentaient 7,5 % de l’économie américaine ou, plus précisément, 1,5 billion de dollars américains de revenus. En 2020, les paiements généraient environ 1,9 billion de dollars américains de revenus à l’échelle mondiale.
Avec plus de 1,7 milliard de personnes actuellement non-bancarisées dans le monde, les cryptomonnaies constituent une solution de rechange entre pairs aux systèmes bancaires et de paiement traditionnels (y compris pour les transferts de fonds transfrontaliers) sans avoir besoin d’intermédiaires financiers.
Par exemple, selon la Banque mondiale, 50 % de la population latino-américaine a un accès limité ou nul à un compte bancaire. Pourtant, 55 % des adultes de la région ont un téléphone mobile et un accès à Internet.
Cryptomonnaies Inconvénients
Volatilité, liquidité et ponzinomique
Tout comme les bulbes de tulipes de 1624, les cryptomonnaies demeurent, pour l’instant, un actif hautement risqué, volatil et spéculatif. Comme les dernières semaines l’ont montré, toute variation inattendue de la confiance du marché peut entraîner une fluctuation soudaine des cours. À ce jour, le bitcoin a perdu environ 70 % de sa valeur depuis son record historique de 83 000 $ CA atteint en novembre 2021.
En plus de la volatilité, si « l’expérience Bitcoin » en cours au Salvador nous a montré une chose, c’est que la nature illiquide et intangible des cryptomonnaies rend très difficile leur reconversion en espèces, car il y a très peu de guichets acceptant le bitcoin. De plus, les commerçants salvadoriens sont désormais nombreux à refuser la cryptomonnaie et à n’accepter que de l’argent liquide.
Enfin, le monde de la cryptomonnaie demeure un domaine mis à mal par les activités frauduleuses. Ces histoires vont des schémas de Ponzi présentés comme des initiatives de finance décentralisée aux groupes de pirates, comme le groupe Lazarus en Corée du Nord, qui ont récemment infiltré illégalement des réseaux et des plateformes, détournant ainsi un nombre record de cryptomonnaies volées, en passant par les attaques d’hameçonnage où les utilisateurs donnent involontairement aux escrocs l’accès à leurs clés privées. Plus près de chez nous, QuadrigaCx a volé à des investisseurs 250 millions de dollars en cryptomonnaies en 2019. Malheureusement, les victimes ont des recours juridiques très limités, car, contrairement aux comptes bancaires, les avoirs en cryptomonnaies ne sont pas protégés ou couverts par la Société d’assurance-dépôts du Canada.
Cryptomonnaies À prendre en compte
Gouvernance et réglementation
À l’échelle internationale, la réglementation de la cryptomonnaie prend des formes très variées. Si plusieurs pays imposent des restrictions à la négociation des cryptomonnaies, d’autres, comme la Turquie, la Chine et l’Inde, l’interdisent presque totalement. Au Canada et aux États-Unis, le paysage réglementaire des entreprises de cryptomonnaies n’est pas sans ambiguïtés. L’incertitude entourant le cadre juridique des cryptomonnaies est en grande partie attribuable à leur nouveauté par rapport aux systèmes de paiement et de monnaie plus traditionnels. Cependant, depuis le début de la pandémie, l’intérêt pour les cryptomonnaies s’est ravivé, ce qui a poussé les organismes de réglementation à préciser les cadres applicables.
Au cours des trois dernières années, par exemple, les autorités canadiennes en valeurs mobilières ont publié de nombreux avis réglementaires et ont pris plusieurs mesures d’application de la loi contre les plateformes de cryptomonnaies qui enfreignaient les lois sur les valeurs mobilières.
Plus récemment, au niveau fédéral, nous avons vu des signes encourageants avec le dépôt du projet de loi C-249 par la députée Michelle Rempel Garner. Ce projet de loi vise à établir un cadre national dans l’espoir d’encourager la croissance dans le secteur des crypto-actifs. Même si la base des cryptomonnaies est la décentralisation, beaucoup de leurs partisans sont d’avis qu’une bonne gouvernance et un cadre réglementaire solide n’atténueraient pas nécessairement l’enthousiasme qu’elles suscitent, mais élimineraient les mauvais joueurs et, par conséquent, aideraient à légitimer cette nouvelle catégorie d’actifs numériques ce qui, en retour, favoriserait leur adoption.
Dernières remarques
Si l’avenir est une distribution des probabilités, existe-til un avenir dans lequel la capitalisation boursière des cryptomonnaies est supérieure à celle de l’or? Parlerons-nous d’étalon-orBitcoin? Le Dr. Saifedean Ammous, auteur d’un livre portant ce titre, semble le penser. Dans son livre, il soutient que contrairement à l’or, nous pouvons facilement stocker des cryptomonnaies sur des clés privées ainsi que les envoyer à des contreparties de l’autre côté du globe.
La fortune sourit-elle aux audacieux dans ce nouveau monde numérique? Les cryptomonnaies sont-elles la plus grande innovation de la dernière décennie? De notre vie?
Cela dépend. Cela dépend de la facilité d’utilisation. Cela dépend de la capacité de Bitcoin et d’Ethereum à résoudre leur problème de consommation d’énergie. Cela dépend du niveau d’adoption par les investisseurs institutionnels et de la reconnaissance, par ces investisseurs, des cryptomonnaies comme actifs dignes d’intérêt dans un portefeuille équilibré. Cela dépend de l’existence d’un cadre réglementaire solide qui n’est pas hostile aux nouvelles initiatives dans l’espace des cryptomonnaies.
Plus que tout, je dirais que cela dépend de l’histoire que nous sommes prêts à nous raconter dans l’avenir.
Et vous, qu’en pensez-VOUS?